La mobilité à venir par le design-fiction ● M1S1 - 2017/2018

2017 : les conducteurs de tous les pays « montrent de l’intérêt pour les véhicules autonomes et commencent à accepter le véhicule électrique comme une alternative » nous affirme le dernier rapport prospectif en vogue. Du projet DAIR de General Motor à la mobile robotics de la DARPA en passant par les débuts du global positioning system (GPS), de nombreux projets se sont succédés de 1960 à nos jours avant que l’idée d’une voiture autonome ne commence à tenir la route.

Un contexte technologique favorable s’ajoute à des problématiques de sécurité, d’optimisation des flux de déplacements et de consommation d’énergie des transports comme le résumait en 2016 Anthony Foxx, le secrétaire américain aux Transports : « Automated vehicles open up possibilities for saving lives, saving time and saving fuel ». Ce dernier prenait la parole pour annoncer que le gouvernement américain débloquerait 4 milliards de dollars sur 10 ans pour accélérer le développement des voitures autonomes. En France, cette thématique de recherche est au programme de réindustrialisation appelé la Nouvelle France industrielle dans le volet « Mobilité écologique ». Le Boston Consulting Group annonce un marché du véhicule autonome de 42 milliards de dollars d’ici 2025 et 77 milliards d’ici 2035, des ordres de grandeur similaires apparaissent chez le cabinet de conseil allemand Roland Berger.

Si les acteurs privés sont déjà sur la ligne de départ et que les pouvoirs publics sont favorables au développement des véhicules autonomes, quelles transformations peut-on imaginer dans la vie de millions d’individus, à l’échelle d’une ville, d’un pays, d’une société toute entière ? Cette innovation répondra-t-elle à une demande des populations ou imposera-t-elle de nouvelles modalités de déplacement et d’existence ? La topologie de ces villes construites sur mesure pour l’usage systématique de la « bagnole » ne sera-t-elle pas obsolète à l’aube de nouvelles formes de mobilité ?

À ces questions d’ordre urbanistique, géographique ou encore sociologique s’ajoutent des réflexions davantage centrées sur l’humain, ses savoirs et savoir-faire à l’heure de l’automatisation généralisée. L’émergence de la voiture autonome marque le dernier stade de l’automatisation des véhicules : la conduite autonome complète, sans aucune intervention humaine. Le cobaye qui teste une voiture autonome est d’ailleurs souvent photographié en train de lire un magazine au volant pendant que l’ordinateur s’occupe de tout, devenant « passager de sa propre voiture ». Quels risques prenons-nous quand nous nous en remettons entièrement à la « sagesse des algorithmes » ? À qui confions nous notre vie et celles de nos proches en montant à bord de ces véhicules autonomes ? Comme le questionne la Moral Machine du MIT, quels choix prendrait l'algorithme en cas de dilemme moral ?Au vu des technologies employées et des puissances de calcul requises, il n’est pas étonnant de voir un industriel du numérique comme Google prendre de l’avance sur les constructeurs et équipementiers automobiles dans la course à la « voiture qui se conduit seule » (self-driving car). Déjà détenteur de la plupart de nos données personnelles, le géant du numérique risque encore de s’imposer sur un terrain beaucoup plus tangible que celui des big data et de la publicité sur Internet. Il faudra alors étudier les modes de gouvernance de ces objets techniques car s’ils sont autonomes, ils restent le fruit d’une programmation humaine. L’ajustement des intérêts privés, des injonctions publiques et des besoins réels des populations deviendra alors un réel enjeu de société au sein de villes en pleine reconfiguration.

Un outil : le design-fiction

C’est parce qu’il requiert à la fois un exercice d’imagination et de pragmatisme que le design-fiction est une discipline difficile à appréhender. Son objectif n’est – surtout pas – d’apporter une vérité ou une solution à un problème mais de proposer au public un artefact qui pose question, ouvre le débat, questionne les implications individuelles et collectives d’imminentes innovations. Pour ce faire, le designer conçoit un « prototype diégétique », un objet ou dispositif mis en scène pour le rendre plausible, afin de suspendre la méfiance et l’incrédulité du spectateur qui se prend alors au jeu de la réflexion. Par ce mensonge crédible, le designer contribue à « clarifier le présent, concevoir le futur » comme le scande le Near Future Laboratory de Julian Bleecker, à qui on attribue la paternité du terme de design-fiction.

Prenons quelques exemples notoires pour illustrer ce à quoi peut ressembler le design-fiction. L’implant dentaire téléphonique de Auger & Loizeau avait été relayé dans la presse lors de sa sortie en 2002, lançant de nombreux débats bioéthiques prenant à parti leur firme fictive Mibec. The Seeder, une arme écoresponsable conçue par le Studio Flair, importe avec ironie le greenwashing dans le marché de l’armement avec pour slogan « for a better and safer world ». À plus large échelle Dunne & Raby imaginent avec United Micro Kingdoms un Royaume-Uni futuriste dans lequel quatre tribus développent à l’extrême des parti-pris technologiques qui reconfigurent la société britannique toute entière.

Le Nautilus de Jules Verne, le train perpétuel du Transperceneige, des voitures volantes en pagailles, la science-fiction n’a pas épargné le thème de la mobilité, mais les appareils qu’on y croise sont très souvent figuratifs voire décoratifs. Le design-fiction propose un exercice différent : le prototype doit être étayé par un contexte narratif fort, effaçant la frontière entre réalité et fiction pour que le spectateur adhère sans réserve à ce qui est présenté. Le designer raisonne alors avec des « what if » et scénarise des hypothèses dont découlent des objets, situations, organisations. Le design-fiction est d’ailleurs souvent taxé de « design spéculatif » pour son côté exploratoire, pour sa propension à matérialiser des questions abstraites. Pour paraphraser Dunne & Raby, le design-fiction crée non seulement des objets mais aussi des idées. Il permet de s’échapper, le temps d’un projet, des carcans de la viabilité économique, de la contrainte technique ou encore de la barrière juridique pour s’interroger sur le monde que nous voulons construire, mais aussi sur celui que nous voulons éviter.

Découvrez les projets des étudiants :

  • Humanergie par Richard Mégane, Sulaiman Alfian, Bramas Lucas
  • Voltea Viralis par Colin Sylvain, Farjanel Laurine, Andrieu Damien
  • Ellipsis par Renaud Quentin, Gaumer Marie, Ballester Claire
  • Inu par De Pedro Barro Lucas, Blanchard Damien, Deregnaucourt Charline